Paysages et vous! 2017
Cycle de sorties dans le bocage guidées par des "interprètes" du paysage…
Paysage et vous ! #1
Cette sortie sous le soleil exactement a inauguré ce cycle de 3 sorties où des acteurs du territoire et des paysages se font guides pour donner sens et perspective au paysage que nous avons devant nous et à son évolution.
Rendez-vous était donné au musée pour nous permettre d'organiser le covoiturage. Puis en route direction Viessoix, en périphérie de Vire, où Thibaut Preux, d'abord sur sa carte topographique puis en vérifiant sur place, avait repéré un beau point de vue panoramique accessible à pied du centre du bourg.
Divers points ont été abordés autour des trois étapes qui
ont rythmé cette balade. La discussion s’est facilement engagée entre Thibaut
Preux et les membres du groupe qu’il avait incités à intervenir pour livrer les expériences locales.
Thibaut a tout d'abord défini le bocage et ses localisations en France.
-paysage
de bocage
C’est un paysage de l’enclos.
On parle de bocage dans les Pays de la Loire, autour Nantes, dans le Massif central, le nord de la Bourgogne.
Dans le bocage normand, il prend la forme de parcelles
encloses de haies vives (talus plantés de haies) mais il peut aussi être constitué de simples talus (comme en
Bretagne) ou de murs de pierres sèches pour lutter contre les vents (région de la Hague).
1.Caractérisation du bassin de Vire
Il est relativement
isolé, replié sur lui-même au niveau géographique, car bloqué
-au sud par la forêt de St Sever,
-au nord par les barres de grès
-puis en allant vers Caen de nouveau un relief important.
Conséquences sur
l’agriculture : il s’agit d’une agriculture d’autosubsistance avec des
paysans qui cultivent pour survivre et manger ; ils commerçaient seulement une
partie de leur production de lait/beurre auprès de quelques laiteries autour.
La région, jusqu’aux années 50, est caractérisée d'"en retard agricole" selon les organismes
de développement agricole. Un changement radical va s’opérer à partir des années
60.
géographie
physique
Il est caractérisé par :
-un climat assez rude,
-des reliefs assez importants (250/300m)
Conséquence :
toutes les perturbations océaniques qui viennent de la mer, à l’ouest, sont piégées par ce relief, la masse d’air
s’élève et donne des précipitations abondantes ;
-territoire assez arrosé : 1200mm relevé à la station
de St Sever (plus qu’à Cherbourg : 900mm
et Caen : 700mm)
-frais en hiver, en raison de l’altitude notamment
du
point de vue géologique
On y trouve des sols hétérogènes :
-sols à bonnes aptitudes pour la culture : plateau
interfluve au nord Burcy, avec limons favorables à la culture
-mais aussi des sols de mauvaise qualité, peu épais, sur les
collines schisteuses par exemple.
A priori le bassin n’était pas très favorable à une activité
agricole de pointe selon les travaux des géographes des années 60 ; mais
en dépit de ces conditions pédo-climatiques (du sol et du climat) le Bocage a
développé une activité agricole intensive.
Autre caractéristique
du bocage virois : le bâti y est dispersé (contrairement à la plaine de
Caen où l’habitat est groupé dans des villages-rue et le paysage en openfield).
L’explication est difficile à trouver. Dans l’ouest, en
Bretagne et Normandie et dans une partie du Pays de la Loire, les paysans ont acquis plus
rapidement une certaine autonomie. Les hameaux correspondent à 2-3 familles, de
2-3 foyers/fermes avec plusieurs générations sous le même toit.
C’est une zone où le processus de périurbanisation est très
fort ; le Normand serait-il plus attaché à son autonomie ? Les dynamiques
d’urbanisation sont hétérogènes et renforcent ici la dispersion de l’habitat.
2. Les haies : ses caractéristiques, ses rôles
On distingue des haies sur talus ou à plat.
Dans le Cotentin notamment on peut trouver des haies
plus fournies, dites « à trois strates » :
- herbacée au pied des haies (avec ronces si manque d’entretien)
- arbustive (aubépiniers, prunelliers, arbres de bourrage
pour éviter aux bêtes de passer)
-arborée (différentes essences, en fonction exposition)
Cet élément que l’on pense caractéristique de notre
territoire a finalement été introduit relativement récemment, puisque ce paysage a surtout été
construit fin 18e siècle/19e siècle.
Origine de
l’installation des haies
Pourquoi l’homme a-t-il installé à une certaine époque, dans
certaines régions des haies, alors que cela
a nécessité du travail à l’installation et d’entretien ?
-pour retenir les
animaux pour l’élevage
Le développement de l’élevage dans l’ouest a été encouragé
par les agronomes après la Révolution française. Ils ont incité les paysans à l’élevage pour accroître le fumier
disponible pour augmenter la production agricole. C’est donc lié au
développement des techniques agricoles.
Mais cela a eu un impact sur les pratiques communautaires
dans le village où l’on trouvait un terrain communal, possédé par le seigneur.
Si l’on développe le bétail, il y a un risque qu’il mange les cultures ;
d’où le système de haie pour les protéger de la dent du bétail.
-la haie comme borne
Les paysans accèdent progressivement à la propriété
individuelle et le Code civil rend la propriété privée presque« sacrée ».
La haie borne ainsi dans l’espace les champs des uns et des autres ; elles
cloisonnent l’espace.
Il ne faut pas oublier que le paysage est construit par la
société à un moment donné, en fonction de ses besoins ; aussi de nos jours les fonctions
qui étaient importantes aux 18/19e siècles ne le sont plus, ou
moins.
Multiples intérêts de
la haie
·
-Source de fourrage pour les animaux
·
-Source de bois : une des régions où la forêt
est la moins développée (- de 10%) alors que d’autres le sont à 30%. Normandie est
peu boisée mais la densité agricole est forte. Donc les haies compensent et
fournissent du bois de chauffe, de cuisine, du bois d’œuvre.
- Lutte contre érosion des sols
La haie est importante pour réguler la circulation
de l’eau ; la haie peut être implantée perpendiculairement à la pente : ce
n’est pas par hasard, elle permet de limiter l’érosion des sols. Le bocage
normand subissant un climat avec de fortes précipitations (150 mm par mois sur
plusieurs jours), quand le maïs est récolté en novembre, les sols sont à nu
(jusqu’à récemment, car découverte des couverts d’interculture pour protéger les sols) et donc ultra sensibles. On observe
alors l’effet splash : avec les
gouttes une croute imperméable se forme à la superficie du sol, l’eau ne
pouvant y pénétrer s’écoule le long de
la pente ; plus la pente s’allonge, plus l’eau va vite, entrainant l’érosion
des sols ; comme en Pays de Caux.
On s’est aperçu de cet effet en Bretagne après la
destruction du Bocage ; le remembrement y a été « efficace » et
rapide ; on a fait table rase des haies mais les sols se sont érodés…ce
qu’on n’avait pas observé avant.
·
-Biodiversité : la haie compose un corridor
pour le déplacement d’espèces animales
·
-Production d’apports organiques au sol (sols
tellement tassés par la mécanisation, qu’on perd 2 tonnes de matières organiques
par hectare chaque année)
·
-Fonction agronomique : protège du vent,
crée un microclimat sur la parcelle propice aux cultures et à l’élevage qui y
trouve de l’ombre également par temps de pluie ou de soleil.
· -
les vaches peuvent se nourrir d’ajonc des haies ; bourgeons aux vertus
médicinales pour animaux
Si on veut reconstruire un paysage bocage (si la société le
définit comme important et utile), et si on veut concilier production agricole
classique et protection de la biodiversité/lutte contre l’érosion des sols,
il est nécessaire de se doter d’outils légaux appropriés car pour le moment la
puissance publique est démunie. En effet, la propriété privée fait que l’agriculteur
n’a besoin que de l’accord du propriétaire. Or 80% des terres sont possédées
par d’anciens agriculteurs qui peuvent partager une même culture du métier et une même
vision du territoire et de son usage ; cela se conclut donc souvent par l’arrachage
de la haie.
Une directive européenne avait essayé d’interdire l’arrachage de
tout mètre de haie, mais elle n’est pas protectrice en raison de nombreuses dérogations.
Aussi si on juge collectivement que les paysages du bocage
représentent des avantages pour la collectivité, il faudrait trouver des
moyens pratiques pour que les agriculteurs
ne soient pas les seuls gestionnaires de ces bocages puisqu’il s’agirait de services
rendus à l’ensemble de la communauté ; une politique publique adaptée est
encore à trouver (acquisition par la collectivité du foncier
« haie »?).
- Comme expérience de protection des haies, la communauté de communes de Vassy Valdallière a lancé un programme de replantation.
-valorisation du bois des haies pour
alimenter une chaudière collective. Mais le bénéfice n’apparait pas encore dans
les statistiques ; T. Preux a pu observer dans ces recherches de 2002 à
2013, on supprime plus qu’on ne replante sur 10 ans : pour un kilomètre
replanté, 10 sont arrachés, voire même effet d’opportunisme…
- Il y a également des initiatives notables des agriculteurs eux-mêmes ; des Cuma ont acquis des machines pour entretenir mécaniquement les haies.
- Le Syndicat des eaux de la Sienne dans la Manche a un programme de replantation des talus, débuté en 2014 et coutant 500 000euros, reconnaissant ainsi le rôle en hydrologie des haies.
3 grandes évolutions depuis années 60’ :
- l’agrandissement des parcelles s’accompagne de l’arrachage
des haies
- la transformation de l’occupation des sols ; bassins
herbagers, production laitière
- le changement dans assolement (ce qu’on
plante) : introduction d’une plante, le maïs, hauts rendements, fort
consommateur en eau et laissant le sol à nu.
On remarque une intensification de la production induisant
une forte densité agricole jusqu’aux années 70/80’ ; la pression est forte
sur les terrains, il n’y a pas de possibilité de s’agrandir. Donc pour produire
plus, la seule solution c’est l’intensification par la chimie, la motorisation
= produire plus à surface et personnes constants
Maintenant, la vache produit plus en hiver quand elle est nourrie
au maïs qu’en été en herbage.
Pour faire évoluer le paysage
-soit on organise le remembrement : cela n’a pas été la
solution retenue en Normandie mais c’est surtout visible en Bretagne (Finistère
et Morbihan = +gros foyers de l’agriculture moderne des années 70’, avec une adaptation
radicale du paysage à une nouvelle logique ; haie a perdu sa fonction
Remembrement a été autoritaire, décidé par l’Etat et financé
par lui.
-autre processus qi a
eu lieu en Normandie : initiatives individuels, agri partant en retraite,
départ plus tôt, indemnité viagère de départ ; les terres libérées ont été
redistribuées à des agriculteurs déjà en place et les plus modernes, verrouillage
du foncier agri ; agrandissement des exploitations, récupération des parcelles,
aménagement progressif du paysage/intensification.
Remembrement dans bocage, surtout après 75’ ;
Ce
processus continue aujourd’hui. Thibaut preux a étudié l'évolution de 2000 à 2013:
- réduction de 22% linéaire de
haies en 10 ans,
- taille des parcelles : augmentation de 2 hectares à plus de 3.5 hectares.
- développement important des cultures fourragères jusqu'à 30% de la surface agricole du bassin:
le maïs occupe 30% , 25%
blé 30% maïs 20% praires temporaires, le reste est de la prairie permanente, localisée dans fond
de vallée humide ou en pente ou en friche, bref des terres qui ont moins aptitudes pour la conduite d'un tracteur. Un tri sélectif dans le paysage s'effectue, entres les parcelles pouvant être cultivées
par mécanisation et celles qui en le peuvent pas.
Interrogation dans le groupe : finalement si le développement de l'élevage en stabulation s'accentue dans
les fermes, va-t-on encore avoir besoin des parcelles de pâturage?
La politique depuis années 60 et Pisani suit la loi d’orientation
agricole 1960 qui fixe que l’agriculture en France doit devenir compétitive et viser l'exportation. Le deal étant, à Allemagne l'industrie, à la France l’agriculture productiviste ; tous les outils
pour cela ont été mis en place et la
politique publique est au service de cette vision.
La France a pourtant toujours milité dans la PAC pour les exploitants
familiaux. On avait encore des structures où le capital appartenait au chef
d’exploitation. Or un basculement dans les modes de production et un changement
de modèle sont en cours.
Thibaut Preux a pu le repérer dans le Bessin avec la série de
faillites. Les exploitants de la plaine de Caen font des fermes laitières
faisant faillite leurs filiales en les s’associant. Il y a normalement un contrôle
des terres et des structures en France, notamment par la SAFER, mais aussi dans
le cadre de la politique de la loi de l’agriculture française. Or des moyens permettent
de contourner cette loi : normalement, un agriculteur n’a pas le droit
d’avoir plus d’une certaine surface de terre ; on entre alors dans des
logiques entrepreneuriales où la maison-mère qui est la ferme principale,
plutôt que de racheter le terrain, va filialiser l’exploitation qui a fait
faillite. Elle rachète 99% du capital, la famille en garde 1%, ainsi on échappe
au contrôle. On arrive à un système dans lequel le capital n’appartient plus à
l’agriculteur et se développement des logiques de « patron » qui
donne les ordres aux « fermiers ». Un va faire du porc, l’autre des
céréales… Pour la ferme des Mille vaches, c’est en effet un entrepreneur du BTP
qui a investi.
Dans les exploitations agricoles bretonnes hors sol
qui sont dans des contrats d’intégration (avec comme objectif d‘amener le poulet
à tel stade de maturité), tout est fourni à l’agriculteur (l’aliment, etc.). Il
doit juste donner à la fin une certaine part de bétail. C’est bien un processus
d’industrialisation avec la division du travail agricole.
Un peu plus d’autonomie persiste dans les élevages laitiers où
l’agriculteur produit encore son fourrage, sa paille… Des éleveurs résistent,
avec des élevages 100% à l’herbe et qui s’en sortent très bien, voire mieux
parfois car moins endettés.
Nous sommes à un moment de tension entre deux modèles.
Pendant ce temps l’agriculture biologique sur l’élevage
laitier en Basse-Normandie se développe et représente 7% de la surface agricole
totale, mais seulement 4 % des exploitations. Cette progression est due à
l’évolution des pratiques de
consommation et à la prise de conscience des éleveurs qu’un lait payé 450€ la tonne en bio c’est plus
intéressant et potentiellement moins cher à produire. En effet la pousse d’herbe
nécessite moins de travail de la part de l’agriculteur et d’investissement, un
peu de renouvellement tout de même mais le coût de production reste moins
élevé. On observe donc une vague de conversion indéniable.
Mais on remarque également que les agriculteurs qui
résistent le mieux aujourd’hui à la crise sont ceux qui sont très bien dotés en
capitaux, qui produisent beaucoup, qui ont des bons contrats, et qui sont donc
bien vus de leur laiterie. Aujourd’hui depuis la suppression des quotas
laitiers, on a un pilotage par les laiteries, ce qui joue aussi dans la
différenciation régionale.
Ex : une laiterie dynamique va pousser les éleveurs à
produire plus, ou alors des territoires où les laiteries vont dire aux
producteurs « on ne prend plus votre lait. Jusqu’ici, les quotas
garantissaient un niveau de production, avec obligation pour les laiteries de
collecter.
A chaque évolution technique, il y a de nouveaux
intermédiaires qui entrent en jeu et contribuent aux évolutions (ex du Crédit
Agricole qui va dire à un petit éleveur qu’il ne va pas financer des
agrandissements pour une toute petite structure).
Les principaux groupes de laiterie achetant le lait (non
bio) produit dans le Bocage sont Lactalis (qui a racheté la fromagerie de
Lessay), Compagnie des fromages et Agrial.
Les deux coopératives sont les Maitres laitiers du Cotentin
et Isigny aussi, mais qui ont un périmètre restreint, même s’ils payent un peu
mieux le lait aussi, sans être la panacée. Rien n’est ni tout blanc ni tout
noir.
La question que se pose Thibaut Preux en tant que
géographe : quel va être l’impact de tout cela sur le territoire agricole.
Va-t-on aller plus loin dans le débocagement? C’est possible même si on arrive
à des limites dans le bocage virois. il y a encore des marges de manœuvre, par
exemple dans la Manche et notamment dans le nord Cotentin.
Voilà ce qu’il souhaitait évoquer avec nous : le
paysage que l’on a observé durant cette balade est le produit de
transformations qui sont à différentes échelles, locales ou européennes, nationales
et mondiales.
Nous sommes dans une phase de transition, d’évolution vers un autre modèle.
Pour rejoindre le point de vue panoramique final, nous avons
emprunté un chemin creux « relique », qui n’était pas fait pour le
tracteur. Suite à cette belle sortie chaude et ensoleillée, nous sommes retournés au musée pour nous désaltérer et échanger
au cœur de l’exposition « Retour sur
terre », visitée par ceux qui ne la connaissaient pas encore.
Rendez-vous à venir
Sur réservation auprès du musée : 02 31 66 66 50
29 juillet, 10h : Sortie marche nordique, commentée par Olivier Faudet,
chargé de mission sports et activités de nature pour l’Office de Tourisme du Bocage normand,
avec Stéphane Pinceloup, référent marche nordique du Service Sports et Associations de Vire Normandie. Il vous expliquera les rudiments pour la bonne marche de cette sortie!
environ 2h
On vous propose d'allier sport et interprétation du paysage d'un point de vue plus touristique.
21 octobre, 15h : Christian Malon, Autour de l'évolution du paysage rural à la Butte aux Cerfs puis échanges au coeur de l'exposition (3€)
CONFERENCE
Les paysans dans la société française : une place singulière
jeudi 19 octobre à 20h30 : conférence de Bertrand Hervieu
Sociologue, ancien président de l’INRA, spécialiste des questions de l’agriculture et des espaces ruraux
Au lycée agricole, Les Champs de Tracy, Vire Normandie (dans la limite des places disponibles)
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